Article paru dans Le Messager, 5 novembre 2021 – Maxime Schweizer
Depuis le départ de Claude Grandjean en 2006, aucun Veveysan n’a siégé au Conseil d’Etat. Pire, aucun politicien ne s’est porté candidat au cours des quinze dernières années. Pourquoi cette réticence? Eclairage.
En cette fin de législature cantonale, le sud du canton de Fribourg est en force au Conseil d’Etat. Pas moins de cinq représentants sur les sept membres viennent de la Gruyère et de la Glâne. Pourtant, aucun Veveysan ne fait partie de l’Exécutif cantonal. Ce constat dure depuis 2006 et le départ du socialiste Claude Grandjean. Autre constat, aucun politicien veveysan ne s’est porté candidat depuis.
Pourquoi le district de la Veveyse peine-t-il à s’imposer au sein du Gouvernement cantonal? Est-ce davantage un manque d’ambition ou un manque de candidats crédibles ? Eclairage avec des politiciens et des experts de la vie politique fribourgeoise.
Un équilibre apprécié
Selon plusieurs journalistes qui suivent l’actualité politique fribourgeoise, quelques profils intéressants se dégagent. Notamment au sein des six députés. Mais, certains ne rassemblent pas toutes les qualités requises. «Les plus jeunes, Savio Michellod et Yvan Mesot ont intégré le Grand Conseil en cours de législature. D’autres Veveysans, même s’ils sont connus, restent parfois trop discrets au sein du Législatif », indique Dominique Meylan, responsable de la page Fribourg à La Gruyère.
Car pour prétendre à une place au sein de l’Exécutif cantonal, il faut indéniablement diriger une grande fédération cantonale et avoir de l’influence politique, que ce soit dans une grande commune ou au Grand Conseil, voire les deux. Trois députés répondent à ces critères: Gabrielle Bourguet (Granges, Le Centre), Roland Mesot (Châtel-St-Denis, UDC) et Gaétan Emonet (Remaufens, PS).
Les deux premiers nommés auraient pu figurer sur les listes prétendant au Conseil d’Etat. Cependant, aucun n’a franchi le pas. «On m’a contactée pour me présenter cette année, nous révèle Gabrielle Bourguet. Durant ma longue réflexion, j’ai pesé le pour et le contre et j’ai fini par décliner.» On devine qu’elle aurait pu remplacer Luana Menoud-Baldi sur les listes du Centre. La juriste, qui n’a pas brigué de nouveau mandat au Législatif cantonal, appréciait l’équilibre entre sa vie professionnelle et politique.
Elle n’est pas la seule à avoir l’expérience et la reconnaissance nécessaires. «La Veveyse peut compter sur des députés de qualité, amorce Nicolas Maradan, journaliste à La Liberté. Roland Mesot fut président de l’UDC cantonale et également président du Grand Conseil. Il possède le profil idoine pour le Gouvernement ou pour une place au Conseil national, à Berne.»
Pour sa part, Gaétan Emonet – «un incontournable» selon Nicolas Maradan – déclare ne jamais avoir été intéressé par la fonction de conseiller d’Etat. «Ce poste amène une charge importante et la campagne est longue et difficile.» Quant à l’ancien syndic de Châtel-St-Denis, François Genoud, il termine à la fin de l’année son premier mandat cantonal. Sans omettre que son parti présente également deux candidats sortants: Olivier Curty et Jean-Pierre Siggen.
Un tournus entre les districts
Pour les experts fribourgeois, les cycles politiques peuvent également expliquer l’absence d’un candidat veveysan au Conseil d’Etat. «Ces dernières années, le district du Lac se plaignait, parce qu’il n’avait aucun représentant et aujourd’hui, Olivier Curty siège au Gouvernement et Ursula Schneider Schüttel fait partie du Conseil national», reprend Nicolas Maradan.
Un constat partagé par sa consœur de La Gruyère Dominique Meylan. «Des profils veveysans pourraient se révéler aux prochaines élections cantonales ou nationales. Pourquoi pas Savio Michellod, député libéral-radical? Il a déjà bien compris comment fonctionne le Législatif cantonal. Je vois également Roland Mesot se présenter à Berne. L’agrarien Yvan Mesot a encore besoin de temps et doit se mettre en avant.»
Pour l’instant, Savio Michellod ne s’imagine pas briguer un siège au Gouvernement compte tenu de sa récente arrivée au Grand Conseil voici trois ans. «Avant de voir plus haut, que ce soit au Conseil d ’Etat ou au Conseil national, j’aimerais d’abord comprendre parfaitement le fonctionnement du canton de Fribourg.» S’ il est réélu, Savio Michellod bénéficiera d’une expérience complète. Pour rappel, le Grangeois a présidé l’Association transports et environnement tout en étant élu syndic de son village en mars.
Une question de proportion
Il faut également garder en tête que les instances dirigeantes des partis fribourgeois ne désirent pas forcément un candidat de chaque district. Habituellement, les conseillers d ’Etat sortants ont la priorité. Ensuite, il faut respecter une représentation équilibrée, qu’elle soit linguistique, régionale ou genrée.
Ainsi, si les partis présentent un candidat pour le Sud fribourgeois (Glâne, Gruyère, Veveyse), cela leur suffit. «Les comités directeurs souhaitent rarement représenter les trois régions, relève Marc Pauchard, président du Centre veveysan. D’autant plus qu’il leur faut un candidat du Lac ou de la Singine également.»
Le dernier argument avancé par les experts politiques et les différents membres des partis est le nombre d’habitants dans le district. Jusqu’à aujourd’hui, la Veveyse ne disposait que de six sièges au Grand Conseil et dénombre 20 000 habitants sur 320 000 Fribourgeois.
Ces dernières années et encore en 2021, la Glâne et la Gruyère sont fournies en candidats, il n’y avait pas de place pour un Veveysan. De plus, quatre sortants briguent un nouveau mandat au Conseil d ’Etat, cette notion laisse peu de places pour les autres.
L’absence de candidats veveysan au Gouvernement dépend donc davantage des enjeux politiques actuels et du nombre de politiciens sud istes que du manque de candidats crédibles.
Maxime Schweizer
Claude Grandjean: «Un alignement des planètes»
Le Châtelois Claude Grandjean (photo) a été le dernier représentant veveysan au Conseil d’Etat. Quinze ans après son départ de l’Exécutif cantonal, le socialiste se remémore les circonstances de sa candidature. «J’ai cédé face aux insistances cantonales de mon parti. Il recherchait des candidats crédibles. Comme il n’y avait ni Gruérien ni Glânois en lice, ils m’ont proposé de faire campagne. Pour moi, cela ressemblait à un alignement des planètes.»
Claude Grandjean cochait la majorité des cases au moment de se lancer dans la course au Gouvernement. Il pouvait notamment compter sur ses dix ans d’expérience au Grand Conseil, entre 1986 et 1996. «Les années au Législatif aident, mais ne font pas tout. Il faut également avoir du succès dans ses interventions, être respecté durant ses prises de parole et avoir la cote auprès de ses collègues.»
L’ancien président du Conseil d’Etat en 2001 et 2006 a également pu compter sur son acte militant à l’encontre du projet de création d’un centre fédéral de sports à Montilier en 1987. «Je m’étais opposé au conseiller d’Etat socialiste Félicien Morel, cela avait marqué les esprits et m’avait permis d’être connu au-delà de mon parti.» Le mandat de cinq ans pour un travail à 100% ne serait pas un frein à entendre Claude Grandjean. «J’ai enseigné au Cycle d’orientation de la Veveyse pendant trente-quatre ans et pourtant, je n’ai hésité à aucun moment à changer de vie.» Pourtant, cette notion a retenu ou aurait pu retenir plusieurs politiciens veveysans, qui apprécient jongler entre leur fonction politique et leur vie professionnelle.
Votre commentaire