La loi CO2, arnaque financière ou nécessité climatique?

Article paru dans Le Messager, 4 juin 2021 – Jonas Ruffieux

Le 13 juin prochain, le peuple suisse sera amené à se prononcer sur cinq objets, trois d ’entre eux centrés sur l’écologie. Si les deux initiatives phytosanitaires ont mobilisé les opposants, auteurs d’une campagne massive, la loi CO2 passe, pour sa part, quelque peu inaperçue. Et pourtant, elle serait, selon certains analystes, «la votation du siècle».

Les députés Roland Mesot (UDC, Châtel-St-Denis) et Savio Michellod (PLR, Granges) sont opposés sur le sujet (lire encadré). Pour le premier nommé, cette loi va trop loin et surtout, trop vite. Pour le second, il s’agit de prendre ses responsabilités et de se montrer loyaux, envers les engagements pris par la Suisse.

«En acceptant cette loi, elle respecterait sa signature dans les Accords de Paris.» Un traité que tous les partis principaux helvétiques soutiennent, à l’exception de l’UDC. «Nous sommes un peu seuls contre tous», admet Roland Mesot, qui dit «penser à la population de la région dans laquelle je vis». Selon le député agrarien, les habitants des périphéries seraient les plus impactés, financièrement. «Les élus fédéraux qui ont voté cette loi n’ont pas envisagé les répercussions dans les campagnes, notamment.»

Le principe du pollueur-payeur

Le débat en soi ne porte plus sur la nécessité ou non d’agir pour lutter contre les changements climatiques. Il s’intéresse désormais à la manière et au calendrier. Comment et à quelle vitesse gérer cette crise? Les solutions dégagées par le Parlement fédéral ont recours, quasiment uniquement, au porte-monnaie. Taxer, redistribuer, investir, selon la logique du pollueur-payeur.

Ce qui permettrait, notamment, de redonner un sens à certains coûts, selon le syndic de Granges. «Il n’est pas normal de moins payer pour relier Genève à Londres en avion que Genève à Zurich en train.» Mais ce principe dérange les opposants et notamment Roland Mesot. «Cette loi va distinguer les “autorisés à polluer”, les plus aisés, des moins bien lotis, qui n’ont souvent pas le choix d’utiliser une voiture pour aller travailler ou qui n’ont pas les moyens de refaire leur chauffage.» Savio Michellod tempère: «On parle de coûts de 150 à 300 francs par an pour une famille de quatre personnes. Ce n’est pas rien, certes. Mais ces incitations financières ont pour but d’amener une réflexion sur notre comportement. Surtout, une partie de ces taxes sera remboursée via la caisse d’assurance maladie.» Le montant restitué est estimé à 60 francs par personne chaque année.

Cette taxation a pour but également de constituer des fonds afin d’investir dans la recherche et la mise en œuvre de technologies menant à la neutralité carbone. «La Confédération et le canton ont les moyens pour financer ces projets sans taxer la population, balaie Roland Mesot. Nous devons encourager ces formes d’énergie propres, mais la direction est fausse avec cette loi stricte et contraignante.» De son côté, Savio Michellod estime que ces fonds seront plus que nécessaires pour financer la transition énergétique, «permettant d’investir dans des énergies propres et locales et de réduire, en outre, notre dépendance aux pays du Golfe concernant le pétrole.»

Urgence climatique?

L’urgence climatique est annoncée par les scientifiques depuis bien des années. Au niveau mondial, les émissions helvétiques de gaz à effet de serre ne représentent que 0,1% du total. Mais si l’on considère les émissions par habitant, la Suisse se place devant certains pays à forte croissance, comme le Brésil ou l ’Inde. Pas de quoi pourtant, selon Roland Mesot, s’autopénaliser. «Le problème est mondial, je ne vois pas pourquoi nous pénaliserions notre économie si les autres pays continuent à produire sans contraintes.» Un «mauvais argument», rétorque Savio Michellod. «Ce n’est pas parce que nous sommes petits qu’il ne faut pas agir. Si tout le monde raisonne comme ça, on court à la catastrophe. La Suisse, région alpine, est durement touchée par les effets du réchauffement climatique. Il faut y penser, et agir pour les générations futures.»

Ce que ne contredit pas Roland Mesot. Mais selon le conseiller communal châtelois, la Suisse est déjà bon élève, en avance même sur le monde. «En dix ans, on a diminué d’un quart la production de CO2 par habitant. On pourrait mettre en place des incitations progressives. Ce qui me dérange, c’est cette volonté d’aller si vite et d’imposer de telles factures aux citoyens.»

Le politicien, pourtant, gagnerait financièrement à ce que le «oui» l’emporte. «Je ne prends que rarement l’avion, je dispose de panneaux solaires et je me déplace autant que possible en transports publics. Mais cette chance n’est pas donnée à tout le monde, notamment à la classe moyenne et aux seniors. Cette loi est faite pour les milieux urbains.» Savio Michellod admet que les régions périphériques ne sont pas forcément favorisées. Mais il rappelle que les montants à payer sont «très acceptables, d’autant plus avec le remboursement via les assurances maladie. En plus, le fond climat prévoit des aides financières pour les régions de montagne.» Surtout, l’horloge tourne. «On ne peut plus continuer à vivre comme avant. Le climat change, les conséquences sont catastrophiques, on ne peut pas laisser ça à nos descendants.» Jonas Ruffieux


La loi, en bref

Validée en septembre 2020 par les Chambres fédérales après près de trois années de débats, la loi doit permettre à la Suisse de réduire, d’ici 2030, ses émissions de CO2 de 50% par rapport à 1990 et de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius. Le projet mise sur la combinaison d’incitations financières, d’investissements et de nouvelles technologies. Les citoyens ou entreprises qui produiront beaucoup de CO2 passeront à la caisse, tandis que ceux qui seront plus respectueux du climat s’en verront récompensés. L’essence, le mazout et les billets d’avion seront notamment taxés. L’argent sera redistribué à la population et investi dans des technologies favorisant une énergie verte. JR


Tous les écologistes ne soutiennent pas la loi

Le mouvement des grévistes du climat, parmi les plus fervents défenseurs de l’écologie, n’est pas convaincu par la loi CO2, soumise au peuple le 13 juin prochain. La section fribourgeoise a décidé de ne pas se positionner sur le sujet, laissant la liberté de vote. «Ce n’est pas notre rôle, souligne un membre, Terenia Dembinski. Notre objectif consiste à créer un mouvement de masse afin de sensibiliser les gens.» L’étudiante fribourgeoise à l’EPFL, âgée de 20 ans, regrette toutefois que la loi n’aille pas assez loin. «Les mesures proposées ne vont pas permettre d’atteindre les objectifs à l’horizon 2030. Désormais se pose la question, vaut-il mieux un petit pas que rien du tout? On le voit un peu comme une sorte de déni. Surtout que la place financière suisse n’est pas franchement touchée par la loi, alors qu’elle est largement responsable, de par ses investissements, des changements climatiques.»

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